Après avoir loué la rapidité et l’ampleur de l’action des banques centrales lors de l’épisode Covid (cf. notre article : La maestria des banques centrales), nous sommes aujourd’hui, plus dubitatifs quant à leur gestion de l’après-Covid.
Pandémie, goulets d’étranglement au niveau des chaînes de production, guerre russo-ukrainienne : nous avons, réunis, tous les ingrédients nécessaires à un redécollage d’une inflation qui, sur les trente dernières années, avait été contenue en dessous des 5% dans la plupart des pays développés.
Il n’y aura donc pas eu d’accalmie pour les banquiers centraux qui pour faire face à la crise sanitaire début 2020, ont dû déployer les grands moyens en doublant leur bilan : le bilan de la FED est ainsi passé de 3 900 milliards de dollars en mars 2020 à plus de 8 700 milliards de dollars à fin 2021, sur la même période, celui de la BCE est passé de 4 700 milliards d’euros à plus de 8 500 milliards d’euros.
Ainsi, à partir de 2021, le monde a vu ressurgir le phénomène inflation qu’une mondialisation et une fin des chocs pétroliers avaient laissé pour moribonde des deux côtés de l’Atlantique. Avec des pics en 2022 à plus de 10% aussi bien aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone euro, l’inflation et son ampleur ont pesé et continuent de peser sur l’évolution du pouvoir d’achat du consommateur qui se remet à grand peine de l’épisode Covid.
En effet, la levée des mesures Covid s’est accompagnée d’un vif regain de la demande, phénomène assez logique après 18 mois de restrictions et d’économies. Les industriels ne pouvaient se permettre de ne pas la satisfaire… quitte à payer le prix fort pour les produits semi finis et matières premières dont ils avaient besoin. Prix fort répercuté sur ceux au détail.
Traitées de transitoires pendant près d’un an, les pressions inflationnistes persistantes n’ont pas semblé émouvoir nos banquiers centraux. Ce n’est qu’en décembre 2021 que Jerome Powell, Président de la Réserve Fédérale américaine, changeait de discours et avertissait les marchés de son intention d’arrêter le quantitative easing1 et d’entamer une hausse des taux d’intérêt afin de rétablir la stabilité des prix. Les autres principales banques centrales lui ont emboité le pas et ont procédé, elles aussi, à des hausses importantes. Le taux directeur2 de la BCE est ainsi passé de -0,5% à 2,5% en l’espace de 6 mois.
Pourquoi les banques centrales ont-elles sous-estimé le danger pendant si longtemps ?
Nous ne pouvons à ce stade qu’émettre des hypothèses quant à l’aveuglement des banques centrales. L’épidémie de Covid a pu n’être appréhendée que comme un épiphénomène qui ne remettait pas en cause les grandes tendances en vigueur depuis la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989) : démographie en berne en Occident, mondialisation, digitalisation… c’est ignorer que la crise sanitaire a mené à un changement radical dans la manière dont les Etats conçoivent leur indépendance et leur puissance et donc à une volonté de relocalisation, de démondialisation, de réarmement, autant de tendances inflationnistes.
Les derniers épisodes ont été comparés à la période Volcker. En 1981, l’inflation culminait à 13,5%. En l’espace de 2 ans, Paul Volcker, Président de la FED, a décidé d’une hausse des taux qui sont passés de 11% en 1979 à plus de 20% en 1981. Cette dernière a permis à l’inflation de repasser à 3,2% dès 1983 mais au prix d’une très forte récession en 1982 et d’un taux de chômage à plus de 10%. En 18 mois, (de janvier 1981 à juillet 1983) le S&P avait chuté de plus de 12% et le Nasdaq de plus de 15%. Ce rapprochement avec la situation économique actuelle a fortement entamé l’appétit des investisseurs en 2022.
Certes, les banques centrales ne pouvaient pas prendre en compte dans leur équation l’invasion par Poutine de l’Ukraine et les conséquences désastreuses de celle-ci. Mais l’inflation était déjà présente et vue comme durable depuis la publication des minutes de la Fed le 4 janvier 2022. La guerre n’a fait qu’accentuer un phénomène déjà très présent. En augmentant au fur et à mesure des crises, les liquidités injectées dans le système financier, elles ont aussi contribué à cette inflation qu’il leur faut désormais combattre. Le bilan de la Fed a été multiplié par dix depuis 2007. Autrement dit, la Banque Centrale américaine a créé dix fois plus d’argent au cours des quinze dernières années que durant toute son existence, débutée en 1913.
La hausse des taux, arme choisie pour refroidir la machine qui s’était quelque peu emballée à la sortie du Covid, est-elle la bonne solution ?
Si le remède semble porter ses fruits aux Etats-Unis avec une inflation qui est passée de 8,2% en septembre à 6,5% en décembre 2022, cela ne sera peut-être pas le cas en Europe où l’inflation a des racines différentes. En effet, l’inflation européenne est plutôt une inflation importée. La hausse des matières premières et surtout de l’énergie ainsi que la baisse de l’euro par rapport au dollar expliquent en grande partie les chiffres de la hausse des prix. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis où l’inflation se comprend plutôt par les tensions dans les chaînes d’approvisionnement ainsi que sur le marché de l’emploi.
La tâche de l’investisseur obligataire dans ce paysage devrait demeurer ardue en 2023 et s’il lui est souvent conseillé de ne pas combattre les banques centrales (ne dit-on pas « don’t fight the FED ? »), force est de constater que les évènements imprévisibles et extrêmes de ces derniers temps ont pu altérer la justesse des jugements et des actions de ces dernières offrant ainsi des opportunités à leurs détracteurs.
Achevé de rédiger le 17/02/2023 par Nadja de Benedit, responsable de la gestion obligataire
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