Donald Trump a fait du renvoi en masse des immigrés sans statut légal la pièce maîtresse de son programme lors de sa campagne électorale. Cela pourrait représenter entre 1,5 et 13 millions d’individus sur une population immigrée record de 47,8 millions de personnes (2023). Ayant la majorité au Congrès, il bénéficie de toute liberté pour sa mise à exécution.
Selon les statistiques du Département de la sécurité intérieure, le nombre d’arrivées illégales sur le sol américain est passé de 1,9 million en 2021 à 2,9 millions en 2024, contre 900.000 en moyenne par an lors des dix dernières années. Ce regain s’explique par la suppression des quotas nationaux et l’assouplissement des politiques migratoires sous le mandat de Joe Biden. Il a permis, certes, de pallier le manque de main-d’œuvre post-Covid, mais a surtout largement contribué à donner un vrai coup de fouet à l’économie américaine.
Net rebond de l’immigration en 2022 et 2023, dépassant le niveau de 2016

Cette dernière risque cependant d’être mise à mal par le 47ème Président des États-Unis. Si la politique migratoire telle qu’envisagée par Donald Trump est effective, les conséquences sur les secteurs de l’agriculture, construction, santé, restauration-hôtellerie notamment seront assurément non négligeables, avec un impact sur l’inflation et par extension sur la croissance.
Un marché du travail de plus en plus dépendant de la main-d’œuvre étrangère
Depuis le début du siècle, un tiers de la croissance américaine provient de la hausse de la population. Or, celle-ci est de plus en plus dépendante de l’immigration.
États-Unis : évolution du PIB et de la population

Source : Macrobond
Plus jeune, la population immigrée a un taux d’emploi plus élevé : le ratio emploi/population est de 63,3% chez les travailleurs nés à l’étranger contre 59,2% chez ceux nés aux États-Unis. Les projections du Congressional Budget Office nous indiquent que sur la période 2022-2034, 90% de la population immigrée serait en âge de travailler (entre 16 et 55 ans) contre seulement 61,3% des natifs.
Par ailleurs, le taux de natalité aux États-Unis est passé de 2,1 naissances par femme en 2007 à 1,64 en 2020. Il s’agit de la croissance démographique la plus lente depuis les années 30, lors de la Grande Dépression. Selon les projections de l’économiste américaine Anne Krueger, Directrice adjointe du FMI entre 2001 et 2006, pour maintenir le niveau actuel de sa main-d’œuvre, l’Amérique serait censée accueillir 1,6 million de migrants par an. Sans immigration, la population et la main-d’œuvre diminueraient de 0,5% par an. Dans un scénario zéro immigration, la main-d’œuvre diminuerait de 5% et la population totale de 32% d’ici 2100 (source Le Monde, 6 avril 2024). On ne peut nier que l’afflux de migrants s’est avéré être une aubaine pour une économie américaine en manque de main-d’œuvre. La part de migrants représente aujourd’hui environ 14% de la population américaine, mais cette proportion est supérieure en termes de main-d’œuvre, car elle est passée 16,5% à 19,1% en 10 ans.
Pourcentage d’immigrés par Etat

Source : l’Echo
Un impact direct sur certains secteurs pour lesquels la main-d’œuvre issue de l’immigration est déterminante
Le secteur le plus touché par un éventuel renvoi des immigrés serait sans nul doute l’agriculture : environ 45% de la main-d’œuvre agricole est en situation irrégulière (cela représente 2,4 millions de travailleurs). 70% des saisonniers ne sont pas natifs des États-Unis ; parmi ces saisonniers, 90% sont arrivés du Mexique et 36% n’ont pas de statut légal. On comprend aisément que les agriculteurs américains ne peuvent qu’appréhender de perdre 16% de leur main-d’œuvre, soit un salarié sur huit.
Ils assurent cependant flexibilité, pérennité, rentabilité et compétitivité face à une concurrence accrue qu’elle soit domestique ou internationale. Cela serait un choc économique pour toute la filière. La Californie, unique producteur d’amandes, artichauts, figues, olives, grenades, raisins secs et noisettes, s’en trouverait incontestablement impactée.
Le programme de reconduite aux frontières, voulu par Trump, serait aussi dévastateur et irréversible pour la chaîne alimentaire. Déjà affaiblie par l’inflation, elle subirait un ralentissement de la production et entraînerait par conséquent une hausse des prix supplémentaire dans l’alimentation de base, comme le lait, le blé et les œufs. Précisons que les prix à la consommation agro-alimentaire sont toujours en hausse de 27% par rapport à février 2020.
Dans les secteurs tels que la santé, le bâtiment, l’hôtellerie/restauration, dans lesquels il est déjà compliqué de recruter, les jeunes immigrés ont apporté des compétences intermédiaires, rémunérées à bas salaires. Concrètement, dans le secteur de la construction, un emploi sur huit serait supprimé et un tiers des plâtriers, couvreurs ou peintres seraient renvoyés.
Un impact considérable sur les salaires, la croissance et la fiscalité
Impact sur les salaires
La période post-Covid a été un indicateur pertinent pour mesurer les tensions qui seraient susceptibles de revenir en cas de renvoi intégral ou partiel d’une force de travail assurant souvent des emplois que les natifs américains ont jusqu’à présent évités, les conditions étant difficiles et les salaires peu attractifs. Se passer d’une telle main-d’œuvre provoquerait une pénurie et serait par conséquent susceptible de créer des fortes tensions sur les salaires.
Le tableau ci-dessous montre quels sont les secteurs qui ont été les plus affectés par des tensions sur l’emploi (emplois non pourvus) augmentant les pressions salariales au moment de la pandémie. Ce sont ceux qui ont un taux plus élevé de travailleurs nés à l’étranger. Les secteurs et les États, ayant connu un afflux de migrants en 2022 et 2023, ont vu ces tensions sur leur marché du travail s’atténuer plus rapidement.
Taux de croissance des salaires / Evolution du taux de postes vacants / Pourcentage population immigrée par secteur entre 2016/2021

Source : Peterson Institute of International Economics
Afin de pallier une pénurie de main-d’œuvre, les chefs d’entreprise, qui accessoirement peuvent être issus d’immigrations précédentes, risquent d’être acculés de procéder à une hausse des salaires, qui entraînerait une baisse des marges ou une hausse des tarifs, qui seraient répercutés directement sur le consommateur. La fragilisation de ce modèle pourrait alors engendrer des mesures de licenciement : selon une étude publiée dans le Journal of Labor Economics en 2023, près de 44 000 travailleurs nés aux États-Unis pourraient perdre leur emploi pour 500 000 immigrés retirés de la population active.
Impact sur l’inflation et la croissance
Sans l’immigration, la puissance américaine ne se tiendrait plus que sur des pieds d’argile : d’après le US Census Bureau, la population du pays déclinerait immédiatement, limitant la croissance potentielle comme c’est déjà le cas au Japon, en Allemagne, en Italie et en Chine.
Le rapport commun de la Brookings Institution et de l’Institut américain de l’Entreprise (AEI) a estimé à 0,4 point de pourcentage l’impact sur la croissance 2025 si Donald Trump et Thomas Homan, son « Tsar des frontières », mettaient leurs menaces à exécution.
La population immigrée n’est pas juste force de productivité, elle est aussi un soutien non négligeable à la consommation. Collectivement, les migrants non déclarés détiennent 256,8 milliards de USD de pouvoir d’achat par an.
Selon les Echos (novembre 2024), sans l’arrivée massive d’immigrés en 2022 et 2023, jamais l’inflation qui avait atteint le pic de 9,1% en été 2022 n’aurait baissé à 2,4% en septembre dernier. En cas d’expulsion de 8,3 millions d’immigrés illégaux, même si elle est difficilement envisageable, l’inflation serait plus haute de 3,5% dès 2026 et de 9,6% en 2028. Le centre de réflexion PIIE estime, en effet, que l'impact sur la croissance économique à l'horizon 2028 serait la perte de 7,4 points de PIB, soit une croissance nulle durant l’ensemble du mandat de Donald Trump.

Source : Peterson Institute of International Economics
Un coût de l’opération non négligeable en plus d’un impact fiscal
Le 10 décembre dernier, l’American Immigration Council a attesté qu’un renvoi en masse provoquerait pour les États-Unis, des dommages significatifs d’ordre fiscal et économique : renvoyer 13 millions d’immigrés coûterait 968 milliards de dollars sur plus de 10 ans soit environ 75 milliards de dollars par an pour 1 million d’expulsions.
De surcroit, précisons que les immigrés sans papiers sont des contribuables : ils assurent 1/6 des recettes fiscales, soit 96,7 milliards de dollars en impôts fédéraux, étatiques et locaux en 2022 selon l’AIC (American Immigration Council) et sont contributeurs nets au fonds de l’assurance-maladie. Plus d’1/3 des impôts qu’ils assurent sont consacrés aux cotisations salariales finançant des programmes auxquels ils n’ont pas accès : en 2022, 25,7 milliards de dollars de sécurité sociale ; 6,4 milliards de dollars de cotisation Medicare et 1,8 milliard de dollars de cotisations assurance chômage. À noter : dans une majorité des États, ils payent des taux d’impôt étatiques et locaux plus élevés que le 1% des ménages les plus riches vivant à l’intérieur de leurs frontières.
Selon le CBO (Bureau du budget du Congrès), « plus de bras, c’est plus de production, donc plus de recettes fiscales ». À long terme, l’immigration est une bonne chose pour l’économie. L’essentiel des nouveaux arrivants étant jeunes : ils paient plus de taxes qu’ils ne coûtent d’aides, une précision pertinente dans un pays vieillissant.
En conclusion, rappelons que l’innovation a toujours été un moteur incontestable, pour ne pas dire le cœur du réacteur du succès des États-Unis. Or, l’immigration qualifiée est un visa pour la croissance. Arrivés en tant qu’étudiants internationaux, la jeunesse immigrée a déjà joué un rôle incontestable dans les progrès technologiques des États-Unis. Tous les CEO des « 7 Magnifiques » sont d’origine étrangère.
À ce jour, nous ne pouvons éluder 2 principales interrogations :
- Cette mesure d’expulsion massive pourrait-elle être une réalité du programme que Donald Trump veut mettre en place ou simplement, a-t-elle été une promesse de campagne électorale ? On peut se permettre de douter que cette dernière sera tenue : l’électorat Trumpiste a sanctionné Kamala Harris en raison des tensions inflationnistes des deux dernières années et les multinationales en majorité, soutien du nouveau Président, n’ont aucun intérêt à voir leur main-d’œuvre renvoyée.
- Si elle est effectivement mise en place, s’agit-il de 1,5 million, 8 millions ou 13 millions d’immigrés ? Les conséquences dépendront de là où sera placé le curseur ...
Achevé de rédiger le 24/01/2025 par Béryl Courcoux, gérante de portefeuilles
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