L'intérêt des obligations dans le contexte de marché actuel

Marie Marticou, gérante obligataire chez Dubly Transatlantique Gestion, revient sur le contexte des taux et les opportunités du marché obligataire.

En septembre, la Fed a procédé à sa première baisse des taux depuis 2020, quelle est votre vision sur le sujet ?

Après la crise financière de 2008, la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) ont mis en place des politiques monétaires accommodantes visant à réduire les taux d'intérêt pour lutter contre la déflation et soutenir le financement de l'économie. Dès 2009, la Fed a amené ses taux directeurs dans une fourchette historiquement basse de 0 à 0,25% avec pour objectif de stimuler le crédit et l'investissement. De son côté, la BCE a réduit ses taux graduellement dès 2011, fixant son taux de refinancement principal à 0% en mars 2016. Ces baisses de taux directeurs ont logiquement induit une baisse significative des taux obligataires. Celle-ci a été particulièrement notable puisqu’elle a emmené les taux souverains jusqu’en territoire négatif : le taux de l'obligation allemande à 10 ans est tombé à -0,4% au début de 2020.

Toutefois, l’inflation a fait un retour fracassant à partir de 2022, exacerbée par les impacts de la pandémie du Covid-19 et les tensions géopolitiques. Face à une inflation atteignant jusqu’à 10,6% en zone euro et 9,6% aux États-Unis, les politiques de soutien monétaire ont dû être repensées. La normalisation rapide de celles-ci s’est avérée nécessaire, et marque la fin d'une période exceptionnelle d'interventionnisme monétaire.

Cherchant à endiguer l’inflation, les banques centrales ont été contraintes d’organiser la remontée de leurs taux directeurs pour freiner la demande au risque de casser la croissance. Les taux d’intérêt directeurs sont ainsi passés de 0,25% en mars 2022 à 5% en juillet 2023 aux États-Unis et en zone euro, de -0,5% en juillet 2022 à 4% en septembre 2023. Les taux souverains se sont rapidement tendus : le taux à 10 ans américain a atteint un point haut à 5% en octobre 2023 et le taux à 10 ans allemand a frôlé les 3%.

A l’été 2024, après dix hausses consécutives des taux en 2 ans, la présidente de la BCE a indiqué que les statistiques renforçaient la confiance en un retour de l'inflation à l'objectif de 2% à moyen terme. En juin 2024, la BCE a ainsi initié une première baisse des taux directeurs de 25 bps, suivie d'une autre réduction similaire en septembre, atteignant 3,5%. La BCE a réduit ses taux avant la Réserve fédérale américaine, qui a enregistré sa première baisse de 50 bps en septembre 2024. La banque centrale américaine, en procédant à une première baisse significative, a cherché à contenir le taux de chômage alors que l’inflation rentre progressivement dans le rang. Le marché intègre cette tendance baissière et anticipe encore plusieurs baisses de taux en zone euro comme aux États-Unis pour rejoindre graduellement le taux jugé « neutre ». Suite à ces anticipations, le rendement des obligations du Trésor américain à deux ans a chuté à 3,6% mi-septembre, en baisse par rapport aux 4,5% atteint fin juillet. Le rendement à 10 ans a également diminué d'environ un demi-point de pourcentage durant cette période.

Le cycle de hausse des taux semble désormais révolu et le point de pivot atteint, les banques centrales devraient ajuster les taux directeurs selon un rythme qui restera dicté par les données économiques.

Quelles conséquences attendre sur les marchés obligataires ?

Dans le sillage des hausses rapides des taux directeurs de la part des banques centrales, nous avons observé une hausse mécanique des taux monétaires. En effet, le taux de rémunération des dépôts au jour le jour est une référence pour les taux à très court terme sur le marché interbancaire, et influence donc l'ensemble des taux monétaires. A l’inverse, les parties longues des courbes de taux reflètent davantage les anticipations macro-économiques faites par les agents économiques.

Ainsi, durant cette phase de resserrement monétaire, nous avons observé des courbes de taux souverains inversées, caractérisées par un rendement des obligations à 2 ans (comme celles de l'Allemagne) supérieur à celui des obligations à 10 ans.

À mesure que les banques centrales amorcent des baisses de leurs taux directeurs, les taux monétaires devraient logiquement suivre cette tendance à la baisse. Avec près d’une baisse de taux directeurs anticipée par le marché pour les prochains trimestres en Europe et un rythme soutenu également aux Etats-Unis, les rendements monétaires devraient revenir à des niveaux plus en ligne avec leur rémunération historique.

Cette baisse des taux monétaires devrait également se répercuter sur les rendements obligataires le long de la courbe des taux. Toutefois, selon la logique qui s’applique usuellement au loyer de l’argent, plus la durée d’un prêt est longue, plus le rendement exigé est élevé pour compenser l’incertitude sur la capacité de remboursement à long terme. Ce risque se traduit par une prime pour l’investisseur, qu’on appelle la prime de terme. Avec la baisse des taux courts, nous devrions assister à une normalisation de la courbe des taux et retrouver une pente positive.

En septembre, nous avons déjà commencé à observer ce processus de repentification, où les taux courts baissent plus rapidement que les taux longs. Nous anticipons la poursuite de cette dynamique, avec une reconstitution progressive des primes de terme au fur et à mesure de l’ajustement des taux directeurs.

Comment s’adapter en tant qu’épargnant ?

Les fonds monétaires, qui ont renoué ces dernières années avec des performances positives, devraient continuer à protéger le capital mais vont voir leurs rendements drastiquement baisser et perdre, selon nous, en attractivité.

Il nous semble opportun de mener une rotation du placement de ces liquidités à très court terme vers des échéances plus longues et de capter ces rendements sans attendre le point de chute des taux monétaires. Il s’agit de les sécuriser pour plus longtemps, d’autant que les taux offerts par le marché obligataire nous semblent toujours attractifs malgré le début du mouvement de baisse.

Par ailleurs, la dé-correlation entre actions et obligations, longtemps mise à mal par une situation d’inflation exceptionnellement élevée pourrait revenir sur le devant de la scène. En associant des actifs décorrélés, un investisseur peut en théorie réduire les fluctuations de l’ensemble de son actif dans le temps, l’un performant quand l’autre reflue.

Face à l’incertitude liée à la géopolitique et au regain de craintes de récession dont témoignent les investisseurs, une exposition obligataire pourrait jouer son rôle de valeur refuge et servir d’amortisseur en cas de volatilité sur les classes d’actifs plus risquées. Dans ce contexte, la diversification reprend tout son sens. C’est également la raison pour laquelle nous gardons une sélectivité accrue dans nos investissements, privilégiant toujours des émetteurs de premier rang et des signatures de qualité.

Achevé de rédiger le 17/10/2024 par Marie Marticou, gérante obligataire.

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