Une dynamique démographique américaine inégale
L'héliotropisme américain remonte à plusieurs décennies mais a été accéléré par le Covid et le développement du télétravail. Les « nordistes » qui ont fui la grisaille et l'enfermement de New York ou de Chicago pendant l'épidémie pour le sud des Etats-Unis ont décidé d'y rester. Les mouvements migratoires ne proviennent pas seulement d’une attraction pour le soleil : les Californiens, eux aussi, ont quitté San Francisco et ses alentours, considérés comme onéreux notamment au regard du montant des impôts, du coût de la vie, de l’énergie, de l’immobilier et dotés de surcroît d’une réglementation commerciale lourde.
Ainsi, si la population américaine a augmenté de 1,6 million d’habitants entre juillet 2022 et juillet 2023, 1,4 million sont situés sur les Etats du Sud. Le Texas (+473 453 habitants), la Floride (+365 205), la Géorgie (+116 077), la Caroline du Sud (+90 600) et le Tennessee (+77 512) sont en tête de ce classement.
Evolution de la population du 1er juillet 2022 au 1er juillet 2023
Il s’agit là d’une tendance démographique de fond. Depuis l'an 2000, le nombre de Texans a bondi de 43%, soit 9 millions d'habitants pour franchir le cap des 30 millions en 2023. Les migrations à l'intérieur du pays comptent pour 29% de cette croissance, l'excédent de naissances par rapport aux décès en représente la moitié, et l'immigration d'Amérique latine et du reste du monde 21%.
Cette migration vers les Etats du Sud emporte avec elle des flux de richesses. Les Etats qui se dépeuplent s’appauvrissent : ce sont leurs résidents aisés qui mènent l’exode, alors qu’ils paient la majorité de l’impôt sur le revenu, lequel soutient les vastes programmes publics. Les recettes fiscales des entreprises californiennes sont ainsi environ 50% inférieures aux prévisions. Il en va de même pour New York qui a vu ses recettes fiscales baisser d’environ 10% en 2022. Le Nord-Est a ainsi perdu 60 milliards de dollars de revenus entre 2022 et 2023, tandis que Miami, en Floride, a gagné 17 milliards, Dallas, au Texas, 5,6 milliards et Charleston, en Caroline du Sud, 4,6 milliards.
Ainsi, depuis 2020, les six Etats du Sud en expansion (Floride, Texas, Géorgie, Caroline du Sud et du Nord, Tennessee) contribuent davantage au PIB que les douze Etats du corridor Washington-New York-Boston. Entre 2000 et 2020, le PIB du Texas a augmenté de 74% tandis que celui de la moyenne nationale a progressé de 40%. Cet écart de contribution à la richesse nationale grandit et ne donne pas de signe d'inversion.
L’attractivité économique des Etats du Sud et du Sud-Est
Ce repeuplement est corrélé avec une migration des entreprises, qui ont commencé à se déporter vers le Sud en plus grand nombre dès 2019. « En 2020, ces écarts se sont accrus, et le Sud a vécu un record historique de 713 emménagements nets de firmes », constate le Bureau of Labor Services. Les départs du Nord-Est se sont accélérés (384 entreprises) et l'Ouest a enregistré sa première perte nette (-175 entreprises).
Le Sud très convoité par les entreprises
Quels secteurs spécifiques ont profité de ce phénomène migratoire ?
- Le pétrole
Région pionnière des hydrocarbures non conventionnels, extraits grâce à la fracturation hydraulique du schiste de Barnet au Nord-Ouest de Dallas, le Bassin permien (Texas/Nouveau Mexique) joue un rôle fondamental dans l’exceptionnelle dynamique Texane. Étendu sur 220 000 km2 (40% de la superficie de la France métropolitaine), il est aujourd’hui le 1er des gisements aux Etats-Unis, dépassant de très loin l’Irak et l’Arabie Saoudite.
Entre 2007 et 2022, sa production de pétrole a été multipliée par 5 et celle du gaz par 4,5 : entre 2000 et 2020, une rémunération cumulée de 324 milliards a été versée aux salariés, soit 60% des revenus salariés au niveau national.
Initialement prisé par les entreprises moyennes, le Bassin permien a vu s’installer les Majors tels qu’Exxon, Pioneer ou ConocoPhilipps, les grands européens tels que Shell ou British Petroleum s’étant pour leur part désengagés du schiste. Etat très libéral, le Texas a aussi des arguments fiscaux convaincants pour renforcer son attractivité : franco d’impôt sur le revenu pour les personnes physiques, sur les sociétés, et sur les plus-values, sachant que la TVA y est de seulement 6,5%.
Cet essor pétrolier a eu un impact direct sur les deux capitales régionales, Midland et Odessa, qui en 2022 polarisaient déjà 70% de la croissance tandis que le reste du territoire est en crise ou stagnation démographique. Il en résulte une explosion des prix du foncier et de l’immobilier, une intensification des créations d’emploi avec comme corollaire le développement des transports, de l’industrie, de la construction, des commerces et services.
- La biotechologie
En parallèle, le Texas peut désormais se targuer de son attractivité grandissante auprès des leaders du secteur des biotechnologies. Soutenus par les plans d’investissement du gouvernement, de véritables pôles de biotechnologie y ont émergé. Ainsi, Greater Houston rassemble pas moins de 1 100 sociétés en science de la vie (biotech) et accueille le Texas Medical Center, l’un des plus grands complexes médicaux mondiaux. Ce dernier a lancé en 2022, le campus TMC Bioport, étendu sur 500 hectares, dont l’objectif est d’accentuer la fabrication domestique et fluidifier la chaîne d’approvisionnement qui avait fait défaut lors du Covid.
- Batteries et semi-conducteurs
Echaudés par les impôts locaux élevés de la Silicon Valley et soutenus par les programmes de subventions et notamment par l’IRA (Inflation Reduction Act) promulgué par Joe Biden en 2022, les fleurons des batteries et semi-conducteurs migrent également vers le Sud-Est où une véritable « ceinture de batteries » ne cesse de s’étoffer. Kentucky, Alabama, Géorgie, Texas et Caroline du Nord attirent ainsi les constructeurs de véhicules électriques, de batteries, de panneaux solaires et de puces. Ces entreprises n’hésitent pas à investir massivement et affichent des objectifs de recrutement ambitieux : pour sa méga usine de batteries en Caroline du Nord, Toyota va finalement consacrer 13,9 milliards de dollars contre 1,29 milliard de dollars initialement prévus et voir ses effectifs passer de 800 à 5100 personnes d’ici 2028.
Le même phénomène est constaté sur la production de semi-conducteurs avancés sur le sol américain qui est devenue une priorité de sécurité nationale depuis la pandémie, afin de couper la dépendance à l’Asie dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu entre Pékin et Washington. C’est notamment l’Arizona, le « Silicon Desert » qui tire son épingle du jeu, avec l’émergence à Phoenix d’un immense écosystème de puces industrielles ultrasophistiquées. En début d’année, TSMC a annoncé la construction d’ici 2030 de sa 3ème usine (la 2ème en Arizona), portant ainsi ses investissements au montant colossal de 65 milliards de dollars pour assurer la production en masse de puces en 2 nanomètres, voire moins (1 nanomètre : 1 milliardième de mètre), incontournable dans le déploiement de l’Intelligence Artificielle.
Selon le président du conseil économique de l’agglomération de Phoenix, « nous entrons dans un nouveau modèle, une époque d’hyper régionalisation des chaînes d’approvisionnement. Les clients exigent que la fabrication du produit soit plus proche de l’utilisation finale ». L’implantation de ces mastodontes s’accompagne de celles de leurs sous-traitants, créant ainsi une dynamique profitable à d’autres secteurs de l’économie.
En conclusion, le déploiement d’un tel tissu économique entraine le développement de l’habitat dans ces nouvelles zones d’attractivité. La perspective de baisse des taux redynamise la demande de biens immobiliers profitable à la construction de maisons neuves et aux acteurs tel que DR Horton. L’accès à la propriété s’avère fort convaincant dans les Etats du Sud : le prix médian des nouvelles maisons vendues au 1er trimestre 2024 était de 370000 dollars, contre une moyenne nationale d’environ 500000 dollars.
Selon le Federal Housing Agency, le taux moyen des prêts immobiliers des propriétaires de maison est de 4% ; or, le taux immobilier à 30 ans qui oscille actuellement autour de 6,4%, pourrait évoluer à terme plus favorablement.
La migration vers les Etats du Sud illustre la nouvelle réalité des États-Unis, un pays polarisé où les gens décident de se séparer de leurs racines, en recherche d’une vie meilleure. De l’aveu même des nouveaux arrivants, partir a été difficile, mais la lassitude et les intérêts économiques ont laissé la place à de nouveaux horizons.
Achevé de rédiger le 17/10/2024 par Béryl Courcoux, Aline Mai et Anne Vincent, gérantes de portefeuilles.
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